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Sur Parc sauvage et autres récits brefs de Jacques Roubaud

‘Jeux de mots, lieux de mémoire. Sur  Parc Sauvage et autres récits brefs de Jacques Roubaud’.

Dans Parc Sauvage (2008), récit apparemment simple de Jacques Roubaud, un des jeux
favoris des deux enfants protagonistes, vivant sous la menace des rafles allemandes,
consiste à communiquer par messages secrets. L’agencement des lettres, syllabes ou mots
par lesquels ces messages sont résumés en fin de chapitre s’avère obéir à une contrainte
oulipienne. Si le lecteur familier de Roubaud reconnaît certains faits de la vie de celui-ci,
le texte ne saurait se lire comme un récit d’enfance autobiographique. Le rapprochement
de Parc Sauvage avec d’autres récits situés à la même époque permet de constater que
Roubaud s’y livre à une déambulation mémorielle dans laquelle la mise par écrit de ses
souvenirs d’enfance les fait changer sans cesse de forme. Ce rapprochement révèle également à quel point le goût des formes oulipiennes ou autres dispositifs formels dépasse chez Roubaud le champ de l’expérimentation ludique.

Manet van Montfrans, ‘Jeux de mots, lieux de mémoire. Sur  Parc Sauvage et autres récits brefs de Jacques Roubaud’. In A.E. Schulte Nordholt & P.J. Smith (éds.), Jeu de Mots/ Enjeux littéraires, de François Rabelais à Richard Millet | Brill/Rodopi, Essais en hommage à Sjef Houppermans, Leiden: Brill, Faux titre ( 2018), 160-173.

Link: http://www.brill.com/products/book/jeux-de-mots-enjeux-litteraires-de-francois-rabelais-richard-millet

 

rill, Faux titre ( 2017).

Calvino et Perec

L’enchâssement des énigmes : Les villes invisibles d’Italo Calvino dans La Vie mode d’emploi de Georges Perec.

 is[1]Au pays des contraintes, l’énigme est reine. La position que les Oulipiens occupent par rapport à la dissimulation ou au dévoilement des contraintes, question fort débattue au sein du groupe, varie d’un auteur à l’autre. Certains propagent l’invisibilité totale des contraintes (Queneau, Mathews). D’autres tels que  Perec et Calvino les énoncent explicitement ou bien se contentent d’en livrer certaines clés.

Si la contrainte est motivée par l’autobiographie comme dans le cas de Perec, l’auteur a tout intérêt à ne pas la révéler. Mais il existe d’autres raisons pour ne pas expliciter les contraintes utilisées. Le texte à contraintes se heurte encore fréquemment de la part des lecteurs à un rejet à priori. Le recours à l’énigme qui naît de la dissimulation ou du dévoilement partiels des contraintes, à l’intérieur ou à l’extérieur des textes, est alors une stratégie permettant à la fois de négocier l’acceptation du texte et de décourager une lecture réductionniste. Le lecteur essaiera de découvrir la grille de lecture adéquate à partir des quelques indices qui lui ont été fournis.

Georges Perec et Italo Calvino ont, dans de nombreux textes, marqué leur communauté d’intérêts et d’approches. Ainsi, Calvino a donné une analyse de La vie mode d’emploi (1984), a consacré la cinquième de ses Leçons américaines, intitulée « Multiplicité», au roman comme encyclopédie, leçon qui se termine sur un retour à Perec, à Queneau et à l’Oulipo. La sixième leçon, restée inachevée par la mort, devait être consacrée à Bartleby. De son côté, Perec ouvre la douzième section d’Espèces d’Espaces par une longue citation de Cosmicomics de Calvino. Calvino figure également parmi les auteurs de la deuxième liste « Citations » du Cahier des Charges.  Dominique Bertelli (1998) a relevé douze impli-citations de Calvino dans La vie mode d’emploi. La proximité de ces deux figures tutélaires de l’Oulipo a été étudiée à plusieurs reprises  et de plusieurs points de vue (Bertelli, Krysinski, Nannicini). Mon article est centré sur les rapports entre Les villes invisibles (1972) et La vie mode d’emploi (1978) : parmi les textes de Calvino que Perec a mis à contribution pour ses impli-citations dans La Vie mode d’emploi, Les villes invisibles occupent en effet une place proéminente.

Si Calvino a été en général moins réticent que Perec à énoncer les contraintes dont il s’est servi, Les villes invisibles (1972) reste un texte mystérieux. La table des matières montre nettement au lecteur qu’il s’agit d’un texte à contrainte (onze séries de ‘types’ de villes qui réapparaissent cinq fois chacune dans le texte). Mais il a fallu attendre le décryptage ingénieux de Carlo Ossola (voir Daros, Italo Calvino, 1994) pour trouver la clé de l’énigme : une forme géométrique cachée, sous-jacente au texte, un parallélogramme décomposé en quatre triangles symétriques et équivalents, incluant cinq villes sur chacun de leurs côtés. Et précisément au cœur de cette figure, au centre du texte, Baucis, la ville invisible : « Celui qui va à Baucis n’arrive pas à la voir ».

 De même que Les villes invisibles, La vie mode d’emploi compte parmi les textes dont les échafaudages n’ont été révélés que (très) partiellement par leur auteur. Et si le Cahier des charges apprend au lecteur quels sont les fragments que Perec a empruntés aux Villes invisibles de Calvino, il ne dit rien sur ce qui a déterminé son choix. Mon analyse porte sur la sélection que Perec a effectuée parmi les onze séries de ‘types’ de villes dans le texte de Calvino. L’étude de la répartition de ces emprunts sur les chapitres de La Vie mode d’emploi, et du contexte dans lequel ils figurent, permet de montrer comment Perec exploite les contraintes qui structurent Les Villes invisibles, en  les imbriquant dans celles qui régissent La Vie mode d’emploi.

PDF Link:  http://hdl.handle.net/11245/1.284144

Pour citer cet article:  Manet van Montfrans, L’enchâssement des énigmes : Les villes invisibles d’Italo Calvino dans La Vie mode d’emploi de Georges Perec .In B. Magné, & C. Reggiani (Eds.), Ecrire l’énigme. (pp. 115-127). Paris: Presses de l’Université de Paris-Sorbonne (PUPS), 2007.

Georges Perec. La Contrainte du réel

perec_montfrans[1]Georges Perec. La contrainte du réel,  Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1999, 418 blz..

Jongleur virtuose de mots et de formes, observateur attentif de son époque, conteur intarissable, Georges Perec (1936-1982) est un écrivain dont la renommée ne cesse de croître auprès d’un public très diversifié, en France et à l’étranger. La discrétion et l’humour de Perec ont pu masquer en un premier temps le véritable enjeu de son oeuvre. Depuis le milieu des années quatre-vingt, on voit cependant se développer une sensibilité accrue à la place que l’Histoire tient dans l’oeuvre de cet auteur, né en 1936 à Paris, dans une famille d’immigrants d’origine juive polonaise. Cet ouvrage retrace d’une part l’élaboration progressive de la poétique perecquienne qui s’est nourrie des expérimentations littéraires et des échanges intellectuels au sein de l’Oulipo. D’autre part, il confronte ce projet d’écriture à l’analyse de trois textes narratifs, Un homme qui dort, W ou le souvenir d’enfance et Un cabinet d’amateur. Ecrire est, selon Perec, un jeu qui se joue à deux, entre l’écrivain et le lecteur. Une fois qu’il s’est laissé séduire par les énigmes de ces textes, le lecteur doit accepter de suivre Perec à tâtons dans les méandres de son labyrinthe. Ce n’est que lorsqu’il consent à s’associer patiemment au mouvement de l’auteur qu’il comprendra ce autour de quoi tournent ces textes et vers quoi, sans cesse, ils retournent.