Archives par mot-clé : Perec

Compte rendu de Raoul Delemazure: Vivre dans les mots des autres

Manet van Montfrans, Raoul Delemazure, Une vie dans les mots des autres. Le geste intertextuel dans l’œuvre de Georges Perec

Le recours à des emprunts textuels est une des pratiques constitutives de l’écriture perecquienne, depuis le premier roman, Les Choses, élaboré à l’aide de l’Éducation sentimentale jusqu’à « 53 jours », roman inachevé, construit à partir de La Chartreuse de Parme. Ces emprunts textuels – citations, allusions ou références faites à d’autres textes – ont fait l’objet de multiples analyses qui méritaient un travail de synthèse. Dans son étude exemplaire, issue d’une thèse de doctorat soutenue en 2015, Raoul Delemazure ne s’est pas contenté de compléter, systématiser et reprendre ou critiquer les résultats de ces analyses, mais il a historicisé les pratiques intertextuelles et les revendications de ces pratiques pour comparer les procédés de Perec à ceux de ses prédécesseurs et de ses contemporains. Pour faire le tour des différents aspects de l’intertextualité dans l’œuvre perecquienne, Delemazure a lu et relu non seulement les textes de Perec, mais encore les nombreux ouvrages que celui-ci a cités, il a dépouillé les documents – agendas, avant-textes, lettres – qui se trouvent dans le Fonds privé de l’Association Georges Perec, ainsi que les inestimables Entretiens et conférences réunis par Mireille Ribière et Dominique Bertelli. À ces sources s’ajoute une abondante littérature critique consacrée à la notion et aux pratiques de l’intertextualité.

Pour citer: van Montfrans, M., 2020. Raoul Delemazure, Une vie dans les mots des autres. Le geste intertextuel dans l’œuvre de Georges PerecRELIEF – Revue Électronique de Littérature Française, 14(1), pp.176–180. DOI: http://doi.org/10.18352/relief.1078

Calvino et Perec

L’enchâssement des énigmes : Les villes invisibles d’Italo Calvino dans La Vie mode d’emploi de Georges Perec.

 is[1]Au pays des contraintes, l’énigme est reine. La position que les Oulipiens occupent par rapport à la dissimulation ou au dévoilement des contraintes, question fort débattue au sein du groupe, varie d’un auteur à l’autre. Certains propagent l’invisibilité totale des contraintes (Queneau, Mathews). D’autres tels que  Perec et Calvino les énoncent explicitement ou bien se contentent d’en livrer certaines clés.

Si la contrainte est motivée par l’autobiographie comme dans le cas de Perec, l’auteur a tout intérêt à ne pas la révéler. Mais il existe d’autres raisons pour ne pas expliciter les contraintes utilisées. Le texte à contraintes se heurte encore fréquemment de la part des lecteurs à un rejet à priori. Le recours à l’énigme qui naît de la dissimulation ou du dévoilement partiels des contraintes, à l’intérieur ou à l’extérieur des textes, est alors une stratégie permettant à la fois de négocier l’acceptation du texte et de décourager une lecture réductionniste. Le lecteur essaiera de découvrir la grille de lecture adéquate à partir des quelques indices qui lui ont été fournis.

Georges Perec et Italo Calvino ont, dans de nombreux textes, marqué leur communauté d’intérêts et d’approches. Ainsi, Calvino a donné une analyse de La vie mode d’emploi (1984), a consacré la cinquième de ses Leçons américaines, intitulée « Multiplicité», au roman comme encyclopédie, leçon qui se termine sur un retour à Perec, à Queneau et à l’Oulipo. La sixième leçon, restée inachevée par la mort, devait être consacrée à Bartleby. De son côté, Perec ouvre la douzième section d’Espèces d’Espaces par une longue citation de Cosmicomics de Calvino. Calvino figure également parmi les auteurs de la deuxième liste « Citations » du Cahier des Charges.  Dominique Bertelli (1998) a relevé douze impli-citations de Calvino dans La vie mode d’emploi. La proximité de ces deux figures tutélaires de l’Oulipo a été étudiée à plusieurs reprises  et de plusieurs points de vue (Bertelli, Krysinski, Nannicini). Mon article est centré sur les rapports entre Les villes invisibles (1972) et La vie mode d’emploi (1978) : parmi les textes de Calvino que Perec a mis à contribution pour ses impli-citations dans La Vie mode d’emploi, Les villes invisibles occupent en effet une place proéminente.

Si Calvino a été en général moins réticent que Perec à énoncer les contraintes dont il s’est servi, Les villes invisibles (1972) reste un texte mystérieux. La table des matières montre nettement au lecteur qu’il s’agit d’un texte à contrainte (onze séries de ‘types’ de villes qui réapparaissent cinq fois chacune dans le texte). Mais il a fallu attendre le décryptage ingénieux de Carlo Ossola (voir Daros, Italo Calvino, 1994) pour trouver la clé de l’énigme : une forme géométrique cachée, sous-jacente au texte, un parallélogramme décomposé en quatre triangles symétriques et équivalents, incluant cinq villes sur chacun de leurs côtés. Et précisément au cœur de cette figure, au centre du texte, Baucis, la ville invisible : « Celui qui va à Baucis n’arrive pas à la voir ».

 De même que Les villes invisibles, La vie mode d’emploi compte parmi les textes dont les échafaudages n’ont été révélés que (très) partiellement par leur auteur. Et si le Cahier des charges apprend au lecteur quels sont les fragments que Perec a empruntés aux Villes invisibles de Calvino, il ne dit rien sur ce qui a déterminé son choix. Mon analyse porte sur la sélection que Perec a effectuée parmi les onze séries de ‘types’ de villes dans le texte de Calvino. L’étude de la répartition de ces emprunts sur les chapitres de La Vie mode d’emploi, et du contexte dans lequel ils figurent, permet de montrer comment Perec exploite les contraintes qui structurent Les Villes invisibles, en  les imbriquant dans celles qui régissent La Vie mode d’emploi.

PDF Link:  http://hdl.handle.net/11245/1.284144

Pour citer cet article:  Manet van Montfrans, L’enchâssement des énigmes : Les villes invisibles d’Italo Calvino dans La Vie mode d’emploi de Georges Perec .In B. Magné, & C. Reggiani (Eds.), Ecrire l’énigme. (pp. 115-127). Paris: Presses de l’Université de Paris-Sorbonne (PUPS), 2007.

Steltlopen door de tijd. Geheugen en geschiedenis in de Franse literatuur

Steltlopen door de tijd. Geheugen en geschiedenis in de Franse literatuur, G. A Van Oorschot, 2014.

Traduction du titre et de la quatrième de couverture:

Sur des échasses,  à travers le temps. Mémoire et histoire  dans la littérature française contemporaine, Amsterdam, éd. G.A.van Oorschot, 2014.

Le vingtième siècle, le plus dramatique  de l’histoire européenne moderne, n’a certainement pas épargné la France. Deux guerres mondiales, deux guerres de décolonisation, la révolution culturelle de Mai 68 et des développements économiques et  technologiques rapides ont entraîné une longue suite de ruptures générationnelles. Des auteurs contemporains tels Georges Perec, Patrick Modiano, Jean Rouaud et Laurent Mauvignier s’efforcent  de retracer  les origines et les circonstances  de ces ruptures  et de rétablir  une certaine continuité avec le passé. Ce faisant,  ils sont confrontés au  peu de fiabilité de leur propre mémoire et de celle des autres.  Marcel Proust est l’écrivain qui a fait du  fonctionnement de  la mémoire un  thème littéraire,  thème commun aux auteurs réunis dans ces essais. A l’instar du Narrateur de la Recherche, ils cherchent, à grands pas chancelants, comme montés sur des échasses,  leur chemin à travers le temps.

Georges Perec. La Contrainte du réel

perec_montfrans[1]Georges Perec. La contrainte du réel,  Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1999, 418 blz..

Jongleur virtuose de mots et de formes, observateur attentif de son époque, conteur intarissable, Georges Perec (1936-1982) est un écrivain dont la renommée ne cesse de croître auprès d’un public très diversifié, en France et à l’étranger. La discrétion et l’humour de Perec ont pu masquer en un premier temps le véritable enjeu de son oeuvre. Depuis le milieu des années quatre-vingt, on voit cependant se développer une sensibilité accrue à la place que l’Histoire tient dans l’oeuvre de cet auteur, né en 1936 à Paris, dans une famille d’immigrants d’origine juive polonaise. Cet ouvrage retrace d’une part l’élaboration progressive de la poétique perecquienne qui s’est nourrie des expérimentations littéraires et des échanges intellectuels au sein de l’Oulipo. D’autre part, il confronte ce projet d’écriture à l’analyse de trois textes narratifs, Un homme qui dort, W ou le souvenir d’enfance et Un cabinet d’amateur. Ecrire est, selon Perec, un jeu qui se joue à deux, entre l’écrivain et le lecteur. Une fois qu’il s’est laissé séduire par les énigmes de ces textes, le lecteur doit accepter de suivre Perec à tâtons dans les méandres de son labyrinthe. Ce n’est que lorsqu’il consent à s’associer patiemment au mouvement de l’auteur qu’il comprendra ce autour de quoi tournent ces textes et vers quoi, sans cesse, ils retournent.